" The Democratic Crisis of Capitalism : Reflections on Political and Economic Modernity in Europe "
LEQS Paper n° 44, décembre 2011.
Christian Chavagneux
Alternatives Economiques n° 310 - février 2012
La question n'est pas nouvelle et nombre de grands auteurs s'en sont saisis. Ainsi, pour Adam Smith, "jamais Nation n'aurait prospéré si la prospérité ne se trouvait qu'où règnent la parfaite liberté et la parfaite justice ". De même, Jean-Baptiste Say souligne que le despote éclairé, c'est-à-dire libéral sur le plan économique, peut obtenir des résultats : "Henri IV ne fut pas un des moins despotes des rois de France, et cependant la France prospéra sous son règne, parce qu'on n'y tracassait pas les particuliers." D'où l'intérêt de ce petit document de travail du professeur Peter Wagner de l'université de Barcelone qui revient sur les principaux arguments avancés dans ce débat.
L'évolution du monde depuis une cinquantaine d'années semble montrer un mouvement inéluctable et concomitant de vagues de démocratisation (en Europe du Sud, en Amérique latine, en Europe de l'Est…) et de développement d'un capitalisme de plus en plus mondialisé et libéral. Il n'en fallait pas plus aux partisans de la fin de l'Histoire pour en conclure que les deux mouvements s'expliquent l'un l'autre et marquent la stabilisation d'un modèle contemporain de modernité s'appuyant sur la même idée de liberté.
De l'autre côté du spectre idéologique, pour Karl Marx et les théoriciens de l'école de Frankfort (Theodor W. Adorno, Max Horkheimer), le capitalisme libéral ne permet qu'une démocratie temporaire, vite abandonnée dès que les intérêts du capital sont en jeu. De même, pour les héritiers du philosophe italien Antonio Gramsci, le capitalisme redistribue un peu de ses profits pour assurer la paix sociale, mais n'hésite pas à remettre en cause cet Etat-providence dès qu'il a le besoin d'en diminuer les coûts.
Une réponse aux crises
Pour Peter Wagner, l'histoire longue montre que les périodes de capitalisme sans démocratie ont été plus fréquentes que l'inverse. Au cours du XIXe siècle, même lorsque la démocratie a commencé à se développer, le suffrage universel est resté limité dans les pays en cours d'industrialisation. Et quand il était en place, il était réservé à une petite élite masculine de propriétaires. Les Français ont pu voter à partir de 1848, mais les Françaises ont dû attendre 1946.
La démocratie, nous dit l'auteur, n'est finalement que la réponse apportée aux crises du capitalisme. Celles-ci prennent la forme d'une instabilité chronique de l'économie de marché, laquelle s'accompagne d'inégalités croissantes et de détérioration des conditions de vie pour un grand nombre. Tout ceci conduit à une demande de démocratie qui finit par être entendue par les élites. Car celles-ci sont soucieuses, d'une part, d'éviter les grèves et, d'autre part, de lâcher du lest à des citoyens qui sont aussi les consommateurs qui assurent leur prospérité.
Or, la mondialisation, en introduisant une rupture entre des pratiques capitalistes globalisées et des espaces de décision politique nationaux ne permet plus de répondre comme hier aux demandes de démocratisation. La voie d'une démocratie mondiale restant du domaine de l'utopie, le monde actuel pousse à une action politique régionale susceptible de redonner une capacité d'intervention politique. Mais les difficultés d'intégration de l'Union européenne montrent que cette voie est loin d'être facile et que le progrès démocratique devra réfléchir à d'autres chemins.
LEQS Paper n° 44, décembre 2011.
